Tragédie | Théâtre
Au théâtre, une tragédie est une pièce de théâtre dont les personnages, illustres et héroïques, sont confrontés à des situations malheureuses.
Genre théâtral, la tragédie, sous l’influence des premiers dramaturges grecs, fait l’objet d’une codification stricte par les auteurs classiques. Versifiée et didactique, elle supplante les autres genres par la droiture de son enseignement moral.
Du théâtre antique à celui de l’absurde, la tragédie explore la condition humaine en mettant l’Homme face à la faiblesse de ses passions et la flagrance de ses contradictions.
La tragédie : définition et histoire
Plus que n’importe quel autre genre théâtral, la tragédie est vouée à l’identification du spectateur au personnage principal et à l’introspection qui en résulte.
Les évènements hors normes auxquels le héros est confronté le placent par défaut au sein de situations insolubles et inextricables. Par ailleurs, la noblesse de son rang ne change rien à l’issue toujours fatale de la tragédie : sa mort est actée, son destin scellé.
Pourtant, le réalisme de ces situations est loin d’être évident. La trame narrative rassemble des personnages de haut rang, parfois surhumains, aux prises avec des circonstances nettement défavorables, souvent irréalistes.
C’est le caractère symbolique de ces évènements qui est mis en avant dans le registre tragique : des personnages extraordinaires pris dans une destinée singulière.
Paradoxalement, cette fiction grandiose et grandiloquente permet de mettre en scène toutes sortes de situations, des plus communes (amour empêché, guerre fratricide, etc.) aux plus taboues (meurtre, inceste, etc.) et d’aborder ainsi un vaste éventail de sujets sociaux et sociétaux.
Aux origines de la tragédie : la tragédie grecque
Définie par Aristote, la tragédie grecque, basée sur des mythes et des divinités, est la forme originelle de la tragédie.
Introduite par un prologue, qui expose la situation, la pièce alterne les dialogues et les parties chantées par un chœur. Sans actes ni scènes, les chants, appelés stasima, sectionnent l’intrigue en épisodes jusqu’à l’exodos, le dénouement de la pièce, marqué par le départ du chœur.
Dès ses premières représentations, dont les frais étaient d’ailleurs pris en charge par des mécènes, la tragédie grecque se veut politique et didactique en conscientisant les citoyens aux dangers d’une passion aveugle importune.
Prisonnier de son âme tourmentée, le héros ne peut s’en libérer que par la purgation de ses passions et de ses péchés. Inspirant la crainte et la pitié, la tragédie grecque conditionne l’identification du spectateur au protagoniste pour favoriser des conduites basées sur une conscience manifeste du bien et du mal.
Eschyle, Sophocle et Euripide, puis Sénèque chez les Romains, ont particulièrement exploité cette extériorisation des passions, celles du personnage d’abord, et, par ricochet, celles du spectateur. Toutefois, c’est à Aristote que l’on doit cette notion, mieux connue sous le nom de catharsis.
Élément central de la tragédie, la catharsis en représente toute la fonction didactique : l’âme du spectateur, ainsi libérée par procuration de ses passions excessives, provoque un comportement sociétal exemplaire.
Au Moyen Âge, sous l’influence du Clergé catholique, la production théâtrale s’axe sur de courtes représentations liturgiques, dont le registre, de plus en plus comique et grotesque, pousse l’Église à interdire toute représentation théâtrale.
Après cette prohibition, le théâtre acte son retour sur les planches par le biais de la tragédie antique et de sa respectabilité. Dès le début du XVIe siècle, quelques dramaturges confrontent les œuvres de l’Antiquité à l’obscurantisme religieux.
Les valeurs morales et sociétales des dramaturges grecs et romains sont promues au travers de traductions, d’imitations, d’adaptations ou de réécritures, versifiées par les poètes de La Pléiade et bon nombre de traducteurs anonymes.
Si certaines normes structurelles sont abandonnées (la présence d’un chœur et le format continu des pièces), d’autres usages (la catharsis d’Aristote et la règle de bienséance) sont plébiscités.
La violence de la fatalité, la noblesse du héros, l’expiation des fautes et des péchés, les unités de temps, de lieu et d’action sont autant de conventions ratifiées par les théoriciens de l’époque, en particulier Nicolas Boileau.
La résurgence de la tragédie grecque — et de ses notions inhérentes : la terreur, la pitié, la compassion, les questionnements métaphysiques sur le bien et le mal, le sens de la vie et la place de l’homme — participe à la renaissance de la tragédie dans le théâtre élisabéthain en Angleterre, puis dans le théâtre classique en France.
La codification de la tragédie classique
Au XVIIe siècle, sous l’impulsion de Louis XIV et de sa politique culturelle, la comédie, et notamment la tragi-comédie à l’intrigue complexe mais heureuse, réinvestit le devant de la scène.
Jugée trop disparate et hétérogène, la tragi-comédie est progressivement abandonnée au profit de l’idéal de sobriété et d’esthétisme véhiculé par le théâtre antique.
Certains théoriciens, outragés par l’extravagance du baroque, veulent simplifier et dépouiller l’intrigue et le décor pour n’en garder que l’essentiel : la vraisemblance et la bienséance.
Cette épuration narrative est également structurelle : les pièces se composent de cinq actes et doivent respecter la règle des 3 unités (un lieu, un temps, une action). Cette configuration stricte devient la marque de fabrique des tragédies classiques.
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »
Ces deux vers (Art poétique, 1674) de Nicolas Boileau, poète, traducteur et théoricien de la littérature, résument parfaitement la règle des trois unités :
- Un jour : l’action ne peut dépasser vingt-quatre heures. Certains dramaturges vont jusqu’à faire correspondre la durée de l’action et celle de la représentation.
- Un lieu : l’action ne peut se dérouler que dans un seul lieu. Les décors sont véritablement « plantés » ; aucune modification majeure n’est possible au cours de la représentation.
- Une action : l’intrigue est simplifiée à un seul fait, un seul évènement, centré sur un nombre restreint de personnages. Cette simplification se fait en faveur de l’approfondissement du portrait émotionnel et psychologique des personnages.
Inspirée par les dramaturges de l’Antiquité, la règle des trois unités revendique une certaine plausibilité du récit — dont la trame tragique en est parfois totalement dépourvue — faisant écho à la notion de vraisemblance.
Chère aux auteurs classiques, cette notion ne se définit pas comme une vérité objective, mais comme une apparence de la vérité, une évidence de principe, conforme aux attentes morales et sociales de l’époque.
Elle correspond aux attentes de l’opinion du public, à ce qui est socialement acceptable. Le vraisemblable de Boileau et de ses contemporains l’est surtout parce qu’il est moral, didactique et social : il « publicise » le danger des passions humaines.
Dès le milieu du XVIe siècle, la tragédie classique replace le dualisme manichéen du bien contre le mal au centre de la scène.
Construite sur le modèle de la tragédie antique, elle fait le récit d’exploits antiques, d’inspiration mythologique ou biblique, invariablement sombres et sinistres, à l’issue généralement fatale pour le noble protagoniste.
Les personnages de haut rang (roi/reine, prince/princesse, etc.) parlent un langage châtié, marqueur identitaire de leur classe sociale. Les alexandrins et autres vers participent par ailleurs à la règle de vraisemblance : leur langage témoigne de leur noblesse.
La bienséance est également respectée : la violence, bien que présente, n’est jamais montrée. La mort du personnage, qui constitue l’inévitable dénouement de la pièce, est dissimulée. Seul l’empoisonnement, considéré comme non violent, est interprété sur scène.
Issue d’un théâtre résolument optimiste, la tragédie de Corneille ne présente pas forcément un dénouement malheureux — La querelle du Cid en est l’illustre témoignage.
L’intrigue des pièces repose sur des conflits intérieurs entre amour et devoir, vertu et orgueil, vengeance et pardon. Cette dualité est typique du dramaturge et donne naissance au concept du dilemme cornélien : la primauté du devoir sur la liberté de choix et d’action.
Le héros cornélien n’est ni spécialement bon, ni foncièrement mauvais. Guidé par la morale aristocratique, il se soumet à la fatalité de son destin et au renoncement de ses amours et de ses passions. C’est de ce renoncement qu’il tire son héroïsme.
Chez Racine, l’héroïsme aristocratique fait place à une morale nettement plus humaine, une introspection de genre (le genre humain) plutôt que de classe. Sa faiblesse et sa lucidité face à l’aspect foncièrement tragique de la condition humaine le confinent au statut de simple mortel, pris dans une destinée exceptionnelle.
Parfaitement conscient de son absence de liberté, le héros racinien perd, face à ses dilemmes moraux et à ses conflits intérieurs, tout devoir moral et toute dignité. La faillibilité du protagoniste, aspect essentiel de son portrait psychologique, l’humanise aux yeux du spectateur.
Si les passions du héros racinien succombent à la justice et à la tempérance, le confrontant à son rôle et à sa place dans la société, le héros cornélien se laisse dominer par sa fierté et son orgueil à travers les obligations dues à son rang (honneur, ambition, vengeance, etc.).
Porteur de modernisme, « l’héroïsme ordinaire » de Jean Racine, opposé à « l’héroïsme de sang bleu » de Corneille, préfigure un certain changement civilisationnel dont la portée se mesure à l’aune de l’affaiblissement du pouvoir aristocratique par les différents régimes politiques à venir.
La tragédie contemporaine
Le XXe siècle, marqué par des conflits mondiaux majeurs, inspire aux dramaturges contemporains (Jean Anouilh, Jean Giraudoux, Jean Cocteau, Eugène Ionesco et Samuel Beckett) une nouvelle lecture de la tragédie.
Les tragédies grecques sont de nouveau remaniées et adaptées aux réalités de l’époque. L’entre-deux-guerres (La Guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935), la Résistance (Antigone, 1944), le refus de la mort (Le Roi se meurt, 1962) alimentent les trames narratives, des plus sérieuses aux plus absurdes.
Face au chaos de l’époque, c’est toute l’irrationalité des hommes et la précarité de la condition humaine que les dramaturges expriment. Cette nouvelle vision tragique n’est toutefois pas fondée sur la fatalité, comme l’étaient les tragédies grecques, mais sur le refus du réalisme ambiant.
L’absurde et la dérision, notions essentielles du théâtre contemporain, ne sont pas tant la négation des codes antiques et classiques que l’affirmation d’un traitement irréaliste nécessaire face à une réalité difficilement supportable.
C’est précisément parce qu’elles sont insolubles que les interrogations existentielles des personnages, bien que tout à fait réelles et légitimes, sont traitées avec ironie et sarcasme par les auteurs.
Si certaines pièces respectent les codes structurels de la tragédie (règle des trois unités, personnages de sang royal, etc.), la tragédie contemporaine marque une certaine rupture avec la tradition antique.
Le questionnement métaphysique reste toutefois très présent. La valeur morale, au cœur des réflexions traditionnelles, a été remplacée par une approche philosophique, qui, à défaut d’être moraliste, demeure intrinsèquement didactique, réflexive et introspective.
Toute tragédie s’inscrit néanmoins dans un registre tragique ou pathétique, déterminé par des thèmes centraux et des procédés d’écriture.
- Une tragédie appartient au registre tragique lorsqu’elle présente un dénouement fatalement funeste et des dilemmes ou conflits intérieurs insolubles. Les héros restent lucides face à leur impuissance et leurs passions dévorantes. Les tragédies classiques s’inscrivent dans le registre tragique.
- Une tragédie appartient au registre pathétique lorsqu’elle présente des lamentations et des plaintes lyriques qui expriment invariablement la souffrance et le malheur. La portée didactique et morale, voire religieuse, est omniprésente : il y a une nette volonté d’apitoyer le public. Les tragédies antiques s’inscrivent dans le registre pathétique.
Ces deux registres utilisent des procédés d’écriture semblables :
- les thèmes récurrents de la souffrance, de la mort, de l’amour, du doute sont exprimés à l’aide de champs lexicaux et de synonymes, dont le taux de fréquence est particulièrement notable.
- la présence de nombreuses figures de style (hyperbole, épiphore, parallélisme, litote, enjambement, etc.) amplifie la dimension dramatique de la prose ou des vers et crée une corrélation syntaxique et sémantique entre la forme et le contenu.
- la récurrence de phrases exclamatives et interrogatives, dont la ponctuation spécifique accompagne les questionnements métaphysiques des personnages et les apostrophes destinées aux dieux, aux divinités ou au Destin lui-même.
- un registre de langue soutenu, propre à une expression lyrique exaltée, qui élève à un très haut degré l’affirmation des sentiments et des passions des personnages.
Questions fréquentes sur la tragédie
- Qu’est-ce que la tragédie au théâtre ?
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Au théâtre, la tragédie est une pièce dont la trame narrative fait référence à un mythe : les personnages, souvent héroïques, voire surhumains, sont confrontés à des situations exceptionnelles, à la limite du plausible.
Ces situations évoquent certains aspects de la réalité et reproduisent symboliquement les conflits intérieurs des êtres humains. Le bien et le mal, l’honneur et la honte, le vice et la vertu sont autant de sujets abordés dans le but de provoquer chez le spectateur une réflexion morale.
L’issue d’une pièce tragique, généralement fatale pour le héros, suscite des sentiments de pitié, de peur ou de colère et favorise l’identification du spectateur au personnage. Les conséquences des actions de ce dernier servent alors de boussole morale au spectateur.
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- Qu’est-ce qu’une tragédie élisabéthaine ?
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William Shakespeare et ses contemporains sont les dramaturges les plus influents du théâtre élisabéthain, nommé ainsi en l’honneur de la reine Elisabeth Ier, fervente mécène de l’art théâtral de l’époque.
Dans une société s’émancipant de ses mythes religieux, la tragédie Macbeth (1606) mêle forces surnaturelles et vices, éminemment naturels, de la condition humaine.
Immensément populaire, cette pièce de Shakespeare met en scène des ambitions dévorantes et des culpabilités inconscientes sur fond de sorcellerie, de tyrannie et de corruption.
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